Secrets. Qu’ils soient petits, grands, innocents ou catastrophiques, ils vous tombent sur le coin du nez sans prévenir. Ils sont l’histoire d’une famille, le récit d’une vie. Malheureusement, les conséquences de ses mensonges pour la plupart volontaires, finissent par ce révéler un beau matin. Pour Aube, le mystère restait entier autour de ses informations cachées. Elle ne pouvait pas, elle était incapable de partager ses doutes. Son caprice brisait les liens du sang pourtant si forts qu’elle entretenait avec sa cadette. La chasseuse se persuadait que personne ne pouvait la comprendre; de plus, son rôle d’ainée de la fratrie la poussait à surprotéger celle qu’elle aimait par-dessus tout. Tous ses caprices les menaient sur une voie presque sans retour, une prison invisible qui les séparait et les torturait mutuellement. En effet, un voile s’installait sur son visage, elle n’était plus franche dorénavant, seule l’illusion d’aller bien comptait tout en continuant de rassurer sa jeune sœur adorée.
Cette soirée fût une bénédiction. Elle patrouillait à travers les cimetières de la ville, la pluie faisait à présent partie intégrante du décor et elle ne sentait plus la sensation de l’eau glaciale qui coulait sur sa peau, rivières interminables caressant ses cellules. Routine d’un jour banal et sans intérêt, excepté celui de remplir son devoir comme chaque fois qu’elle en avait l’occasion et la possibilité. Oui, elle se faisait rare dehors ces derniers temps, la maladie la rongeait, sa dépression s’accentuait, sa transformation la paniquait sans parler du souvenir de cet enfant tant attendu mais hélas perdu… à jamais. Seule, plus que jamais effrayée par le monde et le destin elle s’abandonnait à sa solitude extrême d’une femme en détresse, laissant pour compte ses amis et sa propre famille, les abandonnant, là, sur le bas côté de son parcours personnel.

Un cri puis une opportunité d’ouvrir le dialogue avec celle qu’elle croyait aussi perdue pour toujours. Dawn allait mal, le danger l’oppressait. Une cage de canine prête à se refermer sur sa carotide. La plus âgée des Moonhill s’élança à travers le parc aux morts. Le décor s’amusait des ombres qui dansaient autour de sa silhouette élancée et déterminée par l’instinct de survie. Non, pas le sien mais bien celui de la jeune femme étendue à terre. En un coup, elle sauta sur l’agresseur armé de ses dents et enfonça son pieu en bois de chêne en son cœur déjà dépéris. Il disparut et laissa la place au visage terrifié de sa jeune sœur surprise et mal à l’aise. Aube sentit le soulagement de cette pression évanouie dans les airs mais paradoxalement elle savait, plongeant son regard dans le sien, elle ne voulait pas la voir ni lui parler. Un silence de mort s’installa entre ces deux là. A peine quelques mots se dégagèrent, ceux-ci emplis de déception et d’obligation. Epuisée, son interlocutrice fuyait celle qui venait de sauver sa peau, elle restait là avec souffrance et il semblait qu’elle n’attendait qu’une seule et même chose, la fuite. Un affrontement en tête à tête ne semblait pas lui plaire mais la traqueuse tenta le tout pour le tout. Espoir de retrouver un semblant de relation. Elle l’aimait, elle lui manquait tellement, elle avait besoin d’elle, de sa présence, de son caractère de leur lien détruit mais reconstructible sans nul doute...ou presque. Persuadée d’une réconciliation éventuelle, elle engagea le dialogue, timide et pesant ces paroles, comme si l’entretien futur s’annonçait décisif pour l’avenir qui s’ouvrait devant les deux âmes abimées.

Dawn, s’il te plait, ne part pas. Cela fait tellement longtemps que j’attends ce moment. Le moment où je pourrais enfin te voir, te parler, sentir ton étreinte, entendre ta voix... Je sais que tu m’en veux; mais rappelles toi de nous, de notre passé, de notre histoire. Tu ne peux pas décider seule de notre avenir, tu ne peux pas décider seule de tirer un trait sur notre relation pourtant si fusionnelle autrefois. Rappelles toi… Tu me dois au moins ça…

En effet, avant la tourmente, avant cette année pitoyable et dramatique, Aube ne vivait que pour Dawn, sa Dawnie comme elle l’appelait, sa raison de respirer, sa faiblesse et sa force. Pareille à une tique, ses intentions s’accrochaient, persévérantes et tenaces. Ravitaillement d’émotions, d’échanges fraternels qu’elle souhaitaient plus que tout autre chose en ce moment précis. Pourquoi lui faisait t’elle subir sa méfiance? Pourquoi la repousser avec tant de hargne? Sans doute avec cette certitude d’être abandonnée, livrée à son propre sort, sans soutient, seule et sans sa présence habituelle et rassurante. La chaleur du foyer envolée, l’hypothèse d’un semblant d’autonomie risquée, mal vécue. Frustration d’une fuite en avant, un nouveau monde inconnu, seule dans la joie et dans le malheur, le sentiment d’une trahison…

La sauveuse n’acceptait pas cette réaction égoïste et vide de sens. Toute son enfance, toute son adolescence ainsi que sa vie de femme, elle l’avait passée à surveiller les faits et gestes de sa protégée. Présente à chaque instants, répondant à l’appel de ses échecs, des ses interrogations, de ses principes. Attentionnée et dévouée comme personne, elle lui donnait une part d’elle-même s’en rien demander en retour. Volontaire, engagée, humaine auprès de celle qui lui faisait payer son absence. Elle lui en voulait mais refreinait ses envies de lui faire savoir sa façon de penser. Dans l’absolu, cela ne servait à rien d’empirer les choses avec une multitude de reproches et d’incompréhensions. Aube souhaitait un dialogue mené par les compromis et les bonheurs d’une retrouvaille importante à ses yeux; restait à savoir ce qu’enfermait le cœur de son unique sœur révoltée et légèrement dépassée par les évènements. Butée et peut être trop orgueilleuse, la malade se disait qu’elle ne pouvait pas comprendre, elle n’avait pas vécue tout ce qu’elle-même avait traversé; non; elle ne lui dirait rien, c’était à elle de prendre soin de Dawn, et non l’inverse.

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