« - Maman regarde.. C’est beau ! »
Le petit bonhomme avait agrippé la veste de sa mère, tirant dessus avec force pour la forcer à s’arrêter, son index tendu vers l’horizon. Là-bas, au-dessus de la surface lisse et tranquille de l’eau, de sombres nuages s’amassaient. Amas ténébreux traversé de temps à autres par un éclat de lumière aveuglant. Attirant. Il en avait déjà vu des orages, celui-là pourtant était différent. Sa candeur le poussait à vouloir rester là, sur le pont pour admirer le déchaînement du temps. Sa mère, elle, préféra s’arrêter qu’une mince seconde. Reprenant sa marche quand d’imperceptibles frissons vinrent grignoter son échine. Même le spectacle était indéniablement magnifique, au fond d’elle, elle savait que cela ne présageait rien de bon. Plus rien n’était bon en ce bas monde de toute façon. C’est en secouant la tête avec méfiance qu’elle agrippa le col de la veste de son fils, pour le forcer à lâcher la rambarde et se remettre en route. Le petit manifesta son mécontentement, boudant sa mère pour l’avoir forcé à s’éloigner.

Depuis ce jour, la pluie ne cesse de s’abattre sur les deux îles. Noyant les survivants sous un flot d’amertume, déchaînement des éléments qui sonne comme un jugement qui ne serait toujours pas le dernier. Le calme qui avait pu régner avant cet orage n’était qu’un leurre, un bon moyen pour se faire oublier, et voir la tourmente et la crainte quitter des esprits déjà bien tourmentés.

Les secrets font parti de l’être humain. Qu’ils soient bons ou mauvais, ils se sont endormis avec appréhension cette nuit-là. Craignant de voir les ténèbres les enlacer pour ne plus jamais les abandonner. Les rues désertes de Sydney furent bientôt envahies par de sombres traînées, souffle d’air à peine perceptible évoluant entre les buildings pour se glisser sous les portes closes. Le virus supposé n’être plus qu’un sombre souvenir venait de trouver une nouvelle forme pour faire de nouvelles victimes. Un meilleur moyen, plus radical cette fois pour éradiquer les derniers représentants de la race humaine.

Rien n’avait changé quand il se réveilla ce matin-là. Accomplissant sa routine habituelle en ronchonnant, il n’avait pas fait plus attention que cela à ses gestes. Sans même la toucher, il brisa la poignée métallique de la porte. Il fit subir le même sort aux pieds de sa chaise et à tous les objets en métal qui pouvaient lui tomber sous la main.
Un autre, sans le vouloir, fit s’animer le lion qu’il avait tracé la veille sur le papier. Animal majestueux qui prit vie d’un seul coup, s’avançant vers lui avant de disparaître lorsqu’il cilla.
Elle, elle fut surprise de voir que les murs n’avaient plus aucune résistance. Qu’elle pouvait les franchir sans le moindre mal. Son cœur s’était arrêté lorsque sa main était passée au travers la cloison, un hoquet de surprise était venu mourir dans sa gorge tant l’angoisse fut violente.

Perdus entre crainte et surprise, ils se sont tous réveillés avec un petit quelque chose en plus. Un échantillon de cette maladie mortelle coule à présent dans leurs veines, et ils savent qu’ils ne pourront plus s’en défaire. Alors que certains tentent déjà de se faire à cette nouvelle condition, d’autres essayent de la fuir, de se convaincre que ce n’est qu’un mauvais rêve duquel ils finiront par sortir.

La panique est montée d’un cran. En une seule nuit le nouvel ordre établi a basculé, détruit par la pluie assassine qui continue de s’abattre sur les deux îles. L’angoisse a gagné les cœurs les plus vaillants, mettant les tentatives de résistance de côté. Alors qu’ils pensaient avoir tout vu, tout subit, ils ont compris que le Mal n’avait pas épuisé toutes ses ressources. La race humaine n’est plus qu’un souvenir, un soupir mourant dans le grondement du tonnerre.

La lutte pour la liberté vient de prendre un nouveau tournant. Les sceptiques et les résignés ont rejoint les rangs des insurgés, malgré la terreur qui les ronge. Deux choix s’offrent à eux : la laisser gagner leur cœur pour qu’il cesse de battre, ou bien la combattre pour la voir disparaître.