Seul dans l’obscurité imparfaite du Soleil, allé éclairer la partie apocalyptique de la Terre, je tente en vain de me concentrer.
Seulement me voici dans l’un de ces soirs où mon esprit chahute trop rapidement d’une pensée à l’autre avec aucun espoir de le diriger, seulement la patience n’est pas mienne cette nuit. Alors c’est bel et bien contre moi-même que ma frustration retentit en des élans de colère.
Depuis ma transformation, il y a de cela plus de deux siècles en être de la nuit, on aurait pu croire que j’aurais pour le moins commencé à apprécier la nuit et son calme.
Cependant inutile de tergiverser, je déteste ça autant qu’il m’est possible. La transformation en vampire, une sorte de Renaissance pour moi. Oui mais comment vivre alors que la plupart des êtres se cloitrent et les autres les chassent ? Et bien c’est ce qui arrive la nuit. Et mis à part de temps à autre me nourrir, je ne peux faire grand-chose. Sans aller dans l’excès de dire qu’il n’y a rien à faire. Ce soir particulièrement, je me sens claustrophobe dans l’atmosphère obscure où Salvation est ensevelie.
Ou alors est-ce la faute de ce bureau ? Après tout ça fait des heures que je suis ici à tenter de déchiffrer un document X pour des informations Y, comme chaque soir. Inutile pour le commun des mortels, mais nécessaire pour moi. Le savoir se cultive, dangereux, envoutant, presque religieux de par son addiction. Je suis étrange hein ? Peu importe, si j’avais été banal je ne serais sans doute plus vivant.
Au lieu de penser inutilement seul comme un loup en cage, je vais sortir.
Au dehors, tout est sinistre, comme vidé de son énergie. Se balader ainsi revient à se mettre une pancarte « Mangez-moi » dans le dos. Heureusement pour moi, et pour eux, les auras évitent bon nombre de ces situations. Et puis qui irait s’en prendre à un fou ? Un aliéné qui se sent à l’étroit au dehors, enfermé dans son esprit, contraint dans son corps, dans ses vêtements, dans cette ambiance. Que reste-t-il alors ? Un homme nu qui court dans les rues ? Je ne suis pas assez passionné pour en arriver là. Bien que ça me décoche un léger sourire quand ‘imagine les réactions de quelques passants. Cependant, si je les tuais j’arracherais leurs regards choqués de honte. Celui qui n’a jamais eu honte, qui n’a jamais sué, qui n’a jamais connu tout ça. A-t-il seulement vécu ?
Personne ne répond à mes pensées, à mes interrogations, la solitude est une ennemie vorace. Toujours plus affamée au mauvais moment, et jamais ne quittant sa proie des yeux. C’est sans doute pour ça, qu’on dit que l’on peut se sentir seul dans une pièce noire de monde. Etonnement ce sont les hommes, ces petites créatures qui au moindre choc se brisent, qui ont énoncé les premières les méandres de leurs sentiments. Après tout c’est compréhensible, à être si fragile, si dépassé par le monde qui se resserre comme un étau autour d’eux, les rendant les plus faibles juste avant les animaux. Que leurs restent-ils ? Se focaliser sur eux même, tenter de laisser un héritage, quelque chose signifiant de leur passage. Et pas des moindre, cette nourriture hautement calorique sait tourner les mots, et je dois avouer en admirer plus d’un. Mais ceux-là mis à part, l’humanité ne vaut rien. Des moutons suivant le troupeau et souillé de sentiments contradictoires qui ne servent qu’à les faire souffrir entre eux, pour ceux qui ne les extériorisent pas, par la colère ou le papier. J’ai toujours pensé, qu’il faut tout essayer avant d’émettre une opinion critique dessus. Pour avoir gouté à l’humanité, je peux dire que rien n’est pire, plutôt milles souffrances sous l’état de vampire, qu’une journée comme homme. Le concept de souffrance non physique, hérité à cause d’eux nous rongent mes congénères et d’autres créatures jusqu’à l’os. Cette maladie sans remède qui loin d’achever, nous tire une balle dans le pied, nous affaiblit comme de vulgaires hommes. Quand quelques mots, une phrase peuvent te réduire à douter de toi-même de ton existence et de tout ce qui comptait pour toi il y a quelques minutes, alors tu es touché par ce mal. Je l’appelle le retour d’humanité.
Au détour d’une maison ou d’un bar éteint de vie et lumière, des ombres se jouent de ma vue. M’indiquant une présence que je ne sens pas. Encore et encore, quand finalement au bout de la rue une silhouette plus nette que dans mes souvenirs se dessinent dans le peu de lumière lancé par un réverbère au loin. Un homme, de bonne taille qui se tient droit et relativement bien. Je peux en déduire à 70% que ce n’est pas un homme pour la simple et bonne raison qui est : Quel homme se tiendrait fièrement dans une rue fréquentée par autant de surhommes en pleine nuit et seul ?
Un fou, ou quelqu’un voulant mourir. Ce que je comprends fort bien. J’ai toujours pensé que quitte à se savoir mortel autant savoir et guider sa mort. L’affronter, en décider, pour rester maitre de sa vie même dans le trépas.
Quoi qu’il en soit, cette silhouette m’est familière, beaucoup trop. Quelques secondes passent sans que quiconque n’esquisse de geste et que le rapprochement entre cette taille et ce maintien me revient. La raison de cette vue si familière est qu’il s’agit d’un membre de ma famille. Et pas des moindre : Nathanaël … Il ne m’a pas vu, il semble attendre quelque chose. Et j’en déduis par ses tics d’impatience qu’il va s’en aller d’une seconde à l’autre.
Je n’ai jamais espéré le revoir, l’exclure de ma vie, comme il l’a fait par le passé. Tel était ma solution. Mais je devais me douter qu’un jour je le reverrais. Je devrais lui en vouloir de m’avoir abandonné moi et les autres. Mais comment en vouloir à un jeune homme d’être parti pour ne pas s’occuper de son frère plus âgé. Il a du s’accabler de responsabilités paternelles qui ne lui incombaient pas à lui mais moi. Serait-ce de la honte que je ressens ? Evidemment que non. Je lui en veux tout de même mais si peu, le ressentir réellement serait lui donner bien trop d’importance. Lui qui n’en a plus à mes yeux depuis 200 ans. Et pourtant deux siècles à errer m’ont fait prendre conscience du vide qui m’était comblé durant ma vie d’humain mais qui se creusa lors de ma Renaissance. L’amour dit-on ? Quelle blague. Ces chamailleries, ces discussions inutilement enflammées, et tant d’autres choses. Avouerais-je jamais que ça me manque ? Oui mais jamais de vive voix, et à qui que ce soit. Me l’avouer à moi-même fait déjà pleurer les violons. Comme c’est touchant Akkarin, ton petit frère qui est parti et que tu as fui est devant toi.
Bon sang ! Je ne peux pas passer cette occasion, le temps a effacé ma rage, il l’a remplacé par du dédain et un semblant d’indifférence. Alors qu’ai-je à perdre à lui parler ? Au contraire, nous avons tout à y gagner. Je tiens à ce qu’il me dise clairement de sa bouche les raisons de son départ, bien qu’elles ne me soient pas inconnues, j’aimerais voir son visage en cet instant. Sans colère ni animosité aucune, je tiens simplement à observer.
Quand je commence à me rapprocher de lui une voix m’appelle. Mais il ne s’agit pas de n’importe laquelle : Loreleï.
Comme ces pauvres rats quand un fromage leur est posé je tourne la tête avec une vivacité apte à me rompre le cou. La voilà, elle me fixe d’un regard emplie de peur et de souffrances. Ce vampire qui est son maitre l’a-t-il encore fait souffrir ? Je donne peu cher de sa peau si tel est le cas, et si je dois la forcer à me dire qui lui a fait ça je le ferais cette fois. Je ne me soumettrais pas à la volonté d’une femme souffrant pour le plaisir sadique d’un quelconque malade. Quand il s’agit des femmes, les protéger passe avant les écouter, c’est ce que le temps et mes lectures théoriques m’ont appris. Au final elles sont toujours reconnaissantes, à condition qu’on y laisse le temps.
Un mouvement derrière moi m’indique le départ imminent de Nathanaël. Cette soirée commencée dans l’étouffement finira donc dans l’écartèlement. Ironique n’est-ce pas ?
Je vais résonner comme ces deux siècles d’apprentissage me l’ont appris.
Mon premier choix est Nathanaël, il est la chair de ma chair, et peu importe notre passé, nous avons un futur, qu’il soit enclin à la haine ou à la réconciliation. Ma curiosité me pousse à l’observer et me rendre compte moi-même de la personne qu’il est devenu. D’un autre côté le sachant sur Salvation je pourrais le rechercher plus tard avec de bonnes chances de le retrouver. Des chances qui s’amenuisent quand on pense à son état, la mort et les disparitions font bonne mine ici.
Mon second choix est Loreleï, fragile femme qui me demande à l’aide par le regard. Bon sang comment rester de marbre face à ça ? Que fait-elle ici ? Que lui est-il arrivé ? Qui est l’ordure responsable ? Trop de questions à poser et quelques secondes pour me décider.
Un dernier regard en arrière vers ce frère que je prie pour retrouver. Et je décide de l’abandonner comme il fit il y a de cela deux siècles, avec l’espoir de le revoir plus tard. Après tous les évènements se répètent mais différemment, car nous nous retrouverons Nathanaël. Et à ce moment-là nous prendrons le temps qu’il faut mais nous discuterons. Je tiens à me rendre compte de qui tu es.
Je me retourne pour la dernière fois et marche à pas rapide vers Loreleï toujours perdue, un visage tordue par l’angoisse et la peur, il est effrayant comme un corps de vampire peut réagir excessivement. Sa vue fait monter en moi la colère mais également une autre sensation à des années lumières d’être appropriées, le désir. Un homme peut désirer certes, mais sans cesse en la regardant. Cela en devient malsain. Une volonté de la protéger d’elle-même qui retourne incessamment près de son bourreau également. Mon choix est fait, cette fois elle m’avouera son identité que j’en finisse et si elle a peur qu’elle me suive. M’attacher à une femme m’étonne moi-même mais si c’est elle loin de m’effrayant cela m’attire et me rassure.
Ainsi en me rapprochant je la vois frissonner de froid et liant le geste à la parole je m’approche en retirant ma veste et lui mettant sur les épaules.
« Loreleï c’est moi n’ai pas peur. »
Attendre qu’elle soit réchauffée et ensuite les extorquer des aveux non désirés. Tel est mon dessein.

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