Cette fois-ci, il n’avait pas eu le choix. Hazelan rentrait du Green’s Pies, qui portait le nom de sa propriétaire qu’il avait appris à respecter, mais aussi à haïr. Erin Greenlake était une femme hors du commun. Il en avait pu faire l’expérience bien plus d’une fois. Le jeune homme traversait les ruelles sombres de Salvation. Aucun lampadaire n’éclairait le chemin qu’il avait choisi. Mais ce n’était pas grave. Contrairement aux simples mortels, sa vue lui permettait de bien cerner son environnement – même pendant la nuit. Le dégout de ses actes lui était encore inscrit dans les traits de son visage. Plus que quelques rues, et il allait pouvoir rejoindre Cassandre. Il avait besoin d’elle maintenant, il sentait que ce à quoi Erin le forçait affaiblissait son moral. Sans Cassandre, il aurait probablement abandonné depuis longtemps. Il se serait livré à n’importe qui.
Dix pas, neuf pas… Le jeune homme s’arrêta. Il ferma les yeux et resta immobile. Alors, au bout de quelques longues minutes, il se remit à bouger. Mais ses pas étaient désormais dirigés vers le fond de la forêt. Tout à coup, il était entouré d’arbres sombres. C’était une situation angoissante. Il se sentait seul au monde. Il était enrobé d’un silence qui n’en était pas. Comme si, même la nature s’était décidée à tromper ses sens. Mais il y avait là cette odeur… qui l’écœurait, et attirait néanmoins son attention. Il aurait pu retourner vers la route, oublier ce moment et se réfugier dans les bras de la femme qu’il aimait.
C’était impossible. Même s’il avait voulu retourner, il n’y serait pas parvenu. Son instinct était plus fort. Alors, doucement, il s’avança. Il ne se sentait pas très rassuré. Il ne craignait ce qu’il allait trouver ici. Il avait perdu tous ses repères, il était seul dans une forêt, en train de suivre une trace inconnue.
Et là, il les vit. Il n’y aurait pas cru, s’il ne l’avait pas vu de ses propres yeux. Enfin, il savait de quoi Sebastien était capable. Du moins, c’était ce qu’il pensait. Mais cette image dépassait son imagination. Au plein milieu de cette sombre forêt, il vit Luiza et Sebastien. Enfin, il vit ce qui restait de Luiza. La jeune femme était dans un état pitoyable. Son visage était salement amoché ; sa peau était toute blanche, comme si elle s’était fait vider de tout son sang. Ses lèvres étaient ouvertes, et ses cheveux partaient dans tous les sens. Elle était recroquevillée sur elle-même, cherchant à se réfugier au pied d’un arbre. Elle gémissait et suppliait le vampire de s’arrêter. Celui-ci était loin de lui accorder cette faveur. Bien au contraire. Lorsqu’il sentit la présence de Hazelan, il leva aussitôt la voix et l’invita à participer à ce « plaisir ». Le regard du Nephilim se posa sur la jeune victime, et il eut un moment de frayeur. Comment réagir face à une telle proposition, venant de cet homme ? Il fit quelques pas vers cette scène immonde. Il sentait la chair de poule envahir ses bras. Sebastien avait un sourire indescriptible sur les lèvres. Le Nephilim sentait son cœur battre de plus en plus fort. Et cependant, il avait été capable de bien pire au passé. Il s’était même déjà trouvé dans une situation similaire avec cette même femme. Mais il n’était plus comme ça. Ce n’était plus son désir de tuer des innocents. En fait, il ne voulait plus torturer quelqu’un pour éprouver du plaisir, bien qu’il savait qu’une partie en lui en avait envie.
Il voulait lui dire qu’il ne pouvait pas, qu’il se sentait incapable de l’achever. Une fois déjà il s’était trouvé face à elle, et il n’avait pas su le faire. C’était tellement facile. Elle était affaiblie. Quelques coups suffiraient pour la tuer, vue son état. Il sentait que le regard de Luiza était posé sur lui. Même dans cet état, elle arrivait à suivre ce qui se déroulait autour d’elle. La peur de mourir lui était inscrite dans le visage. Hazelan cherchait à gagner du temps avec son silence, mais il sentait que Sebastien devenait impatient. Il ne voulait pas décevoir cet homme, il voulait se joindre à lui et lui montrer qu’il était digne de son respect… mais son corps ne lui obéissait plus. Il ne pouvait pas s’avancer plus vers Luiza. Il lui avait procuré tant de mal dans le passé. Quel droit avait-il de la maltraiter autant ? Il ne pouvait pas répéter cet acte.
Mais en même temps, il craignait Sebastien. Il ne savait pas qui d’entre eux pouvait gagner un combat. Il ne se sentait pas assez fort pour se battre contre le vampire, qu’il respectait d’une façon étrange. Alors, doucement, il se dirigea vers la femme, qui n’avait pas bougé depuis un moment. Au vu de ses blessures, elle pouvait déjà être morte. Il remarquait que cette idée le soulageait. Mais il savait que c’était trop facile. Sebastien allait veiller à ce qu’elle ne meure pas avant qu’il ne l’ait achevée de ses propres mains.
Il cherchait à détourner son regard de la victime – il ne voulait pas se laisser séduire une seconde fois par l’expression dans ses yeux. Il savait qu’il devait obéir, qu’il n’avait pas le choix. Il était complètement soumis au vampire, et il se haïssait pour cette obéissance. Pourquoi ne pas simplement se révolter ? Parce qu’il risquait de mourir. C’était tellement simple. Il n’avait plus grand-chose à faire. Il n’avait qu’à poser ses mains autour du coup de la jeune femme pour la libérer enfin de ses souffrances. Il devait penser à Cassandre. Elle l’aurait certainement empêché de commettre ce crime. Elle n’aurait pas voulu qu’il s’attaque à une personne qui était tellement affaiblie. Mais en même temps, il craignait sa propre élimination. Certes, ce n’était pas si facile de le tuer. Mais il ne doutait pas du fait que Sebastien avait ses moyens.
Alors, il fit une chose complètement stupide : il se retourna, et se mit à courir. Il ne pouvait pas rester à cet endroit, l’envie de tuer le démangeait. Ce genre de situations lui montrait qu’il était avant tout un démon, même s’il avait pris goût à jouer l’humain. Mais il n’en était pas, il le savait, et c’était presque impossible de résister en permanence à ses instincts. Alors, il ne voyait qu’une solution, et c’était la fuite. Il savait que ce n’était pas très courageux de sa part, et qu’il allait certainement regretter cette décision dans un futur proche.

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